Témoignage de Christiane A.

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En avril 1999, je capitule face à l’alcool. Malheureuse, déprimée, la mort dans l’âme, j’entre à la Maison Jean Lapointe pour une thérapie de vingt et un jours. J’ai peur de la cure, mais j’ai encore plus peur des conséquences des actes que je commets parfois sous l’emprise de l’alcool. Je me cause des torts et j’en cause à d’autres, souvent à des gens qui m’aiment. 

J’ai peur de l’échec. 

J’ai peur de ne pas être capable d’arrêter de boire. 

J’ai peur de ce futur qui devra se vivre à jeun, sans alcool. 

Je me résigne à l’idée d’une vie sobre et ennuyeuse. 

C’est un cauchemar. J’ai hâte de me réveiller. J’ai peur. Contre mon gré, je reviens au Québec après environ quinze ans d’absence. 

Ces moments sont les plus sombres de mon existence. Ma vie s’écroule. Tout m’échappe. Je ne contrôle plus rien. Je ne sais pas comment arrêter ce tourbillon qui m’entraîne de plus en plus bas. Et je continue de boire. Une petite voix intérieure me souffle alors que j’ai, peut-être, un problème d’alcool. La grâce passe. je la saisis et décide d’entrer en thérapie. Ça fait des années que je souffre à cause de mon alcoolisme. Moi, la fille réservée, sportive, studieuse, travailleuse et supposément intelligente, comment en suis-je arrivée là ? 

Dès mes premiers pas dans la Maison, je me sens soulagée. J’aime l’ambiance chaleureuse qui y règne. Je me sens accueillie, comprise et protégée. Je suis encadrée et prise en charge. Je me laisse faire, peut-être pour la première fois de ma vie. Je suis si fatiguée. 

Dès le premier soir, j’assiste à une réunion. Je suis immédiatement captivée. J’ai l’impression que c’est ma propre douleur qui y est exprimée. La souffrance est ce qui nous unit, nous les alcooliques. J’éprouve un sentiment d’appartenance : je ne serai plus jamais seule. Le conférencier nous promet qu’un jour, nous vivrons la sérénité, la quiétude, le calme, le bien-être, la paix de l’esprit… Sans le savoir, c’est ça que je cherchais depuis toujours. C’est à cet instant que je décide de tout faire pour y arriver. C’est à cet instant que j’ai repris espoir. 

Peu à peu, je rends les armes et admets que je suis impuissante, que j’ai perdu la maîtrise de ma vie, que je suis alcoolique. Je suis étonnée d’avoir été aussi ignorante, moi l’universitaire qui me croyais responsable et intelligente. L’intelligence n’a certainement rien à voir avec la sagesse ! Le dégel est brutal. Je réalise l’ampleur de mes actes des quinze dernières années. Mon absence. Ce fils que j’ai abandonné à son père alors qu’il n’avait que dix-huit mois. Toutes ces années à ne penser qu’à moi, à mon plaisir et à ma carrière. Quel égoïsme, quel égocentrisme. C’est l’éveil de la conscience. Je pleure. 

Je pleure pendant des mois, voire des années. 

Quel gâchis ! Tant de choses à me pardonner. La tâche semble impossible. Les intervenants m’écoutent, m’expliquent et m’encouragent, me promettant qu’avec le temps, tout rentrera dans l’ordre. J’ai peine à y croire, mais je continue.

Huit ans après le début de cette vie nouvelle, j’ai retrouvé ma dignité et me suis libérée des chaînes de l’alcool. Je suis rétablie mais pas guérie.

Je n’envisage plus la vie de la même façon. Je resterai toujours celle que je suis, avec mes qualités et mes défauts, mais ma conscience est désormais éveillée. J’ai cessé de rendre les autres responsables de mon malheur. J’apprécie ce que la vie me donne au lieu de m’acharner sur ce qu’elle ne m’apporte pas. J’ai appris à être moins exigeante, moins perfectionniste aussi. Je suis capable de dire oui ou non au moment opportun, même si cela déplaît à  autrui. Je me respecte davantage. Je respecte les autres. Je vis ma vie et laisse aux autres le soin de vivre la leur. 

Et surtout, je me suis pardonné le passé. J’ai avoué mes torts, demandé pardon, expulsé les sentiments négatifs comme la rancune, la culpabilité ou la victimisation. Je partage ma vie avec un homme que j’aime. Mon fils m’aime et je l’aime. Aujourd’hui, je soutiens son regard sans crainte. Celui de mon père également. La honte m’a quittée. 

 

*Tiré du collectif Le jour où je suis entré à la Maison, publié aux Éditions Libre Expression en 2007

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